Les pieds enfoncés dans le sable, briquet et paquet de cigarettes posés entre ses jambes écartées, Robb avait le regard posé sur l'océan qui venait mourir avec constance sur les bords de la plage. Lorsqu'il faisait beau, il préférait venir passer la soirée ici plutôt que de rester chez lui, où tout était trop silencieux et trop froid. Posé sur le sable chaud et jean relevé sur ses chevilles, il n'avait plus rien de l'homme d'affaires qu'il était habituellement. Pourtant, son corps était tendu, ses yeux habités d'une lueur inquiète qui ne les quittait plus depuis quelques temps. Et il avait beau essayé, de toutes ses forces, il avait beau faire appel à toute la concentration dont il avait su faire preuve toutes ses années, il avait beau s'obliger à s'occuper l'esprit, il ne parvenait pas à chasser Jaime de son esprit. C'était comme un vol virtuel, une intrusion sans effraction. Il était là, tout le temps. Il lui volait sa tranquillité, sa sérénité. Ses belles certitudes en or massif avaient volé en éclat et pour la première fois de sa vie, il n'avait aucune branche pour se raccrocher. Il tombait, il tombait et rien de ce qu'il pouvait faire ne pouvait enrayer sa chute ; au contraire, tout ça ne faisait que l'accélérer. Anxieux, il attrapa une cigarette dans le paquet et après l'avoir allumé, tira une longue bouffée sensée le détendre mais qui ne fit que renforcer sa nervosité. Désabusé, il fixa le mégot qui se consumait entre ses doigts, la danse lente et vaporeuse de la fumée qui s'élevait au-dessus de lui. La nuit tombait tout doucement, comme pour retarder l'arrivée de la lune qui signifierait alors qu'il faudrait rentrer et s'arracher à ce petit coin de paradis. Et Robb ne voulait pas le quitter, il avait trop peur de rentrer chez lui et de se laisser happer par le silence et l'absence trop présente de Jaime. C'était presque pathétique de voir à quel point il le voulait malgré son déni, à chaque heure du jour ou de la nuit. Poussant un soupir, il tourna la tête et repéra une silhouette au loin. Au début, il ne fut pas capable de la distinguer nettement mais au fur et à mesure que l'inconnu approchait, il reconnut cette carrure, ce corps, puis ce visage. Robb aurait voulu se lever, fuir très loin, mais quelque chose l'en empêchait, comme si une enclume était tombée au fond de son corps. Il était paralysé par une sorte d'adoration et de peur mêlées. Et pendant qu'il restait assis là, stupidement, tandis que sa cigarette se consumait au bout de ses doigts, Jaime se rapprochait de lui. Il était proche, trop proche. Robb sentit son coeur se contracter sur lui-même, comme incapable de battre. Il ne pouvait pas nier avoir rêvé qu'un jour, ils soient seuls, tous les deux, mais maintenant que c'était le cas et que Jaime semblait avancer en sa direction, il aurait voulu ne jamais avoir posé les yeux sur cet homme.