scaredywolf on tumblr

« Un autre ! » Gabriel héla le serveur, le regard déjà vitreux et l’esprit embrumé d’alcool. La musique faisait trembler les murs mais ne parvenait pas à faire taire les voix qui le hantaient. Dans les Hamptons depuis quelques semaines déjà il avait écumé chacun des bars et des clubs sans trouver le repos. Ses vieux démons l’avaient bien vite rattrapé et l’entraînaient peu à peu dans la noirceur des bas fonds. Il ne connaissait que trop bien cet endroit, il y avait déjà sombré à de nombreuses reprises. Il était monté trop vite, trop haut, trop jeune. Les vices d’un monde d’adultes perverti avaient eu raison de lui alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Sa mère l’avait regardé tomber, impuissante, dans les plus mauvaises habitudes. Alcool, fêtes, drogues, courses sauvages, Gabriel ne comptait plus les comportements dangereux qui l’aidaient à frôler dangereusement avec la mort. C’était une danse qu’il avait instauré depuis bien longtemps avec la grande faucheuse sans jamais franchir le dernier pas qui lui serait fatal.

Descendant d’une seule traite le contenu du verre tout juste déposé devant lui il tourna un regard vers la salle bondée. Il n’y connaissait personne et ne voulait pas que les choses changent. Flirter avec des inconnus, rentrer avec une femme différente chaque soir sans même connaître son prénom et ne plus jamais la revoir, telles étaient désormais ses mots d’ordres. Il s’était laissé prendre une fois par le piège de l’amour, jamais plus il ne recommencerait. Nora avait été sa lumière, son oxygène. Elle ne le savait pas parce qu’elle n’avait pas connu le Gabriel d’avant, mais elle l’avait sauvé. Pour mieux le détruire. Il s’était offert à elle. Pour la première fois de sa vie il avait laissé quelqu’un entrer dans sa vie. Habitué à être entouré d’une foule de personnes plus intéressées par son argent et sa notoriété que par sa personnalité et ce qu’il avait à raconter, Gabriel avait trouvé en Nora une alliée, une amie, une âme sœur. Il avait laissé tomber ses barrières, il avait rendu les armes, et avait perdu la bataille. Souvenir amer que celui de ce bout de papier griffonné à la hâte qu’il gardait toujours dans son portefeuille pour se rappeler de ne plus jamais commettre la même erreur. « Un autre ! » Il ne savait plus combien de verre il avait commandé ce soir. Il s’était simplement assuré que Tinsley avait d’autres plans ce soir. Il refusait qu’elle le voit dans un tel état, il n’aurait pas supporté lire la pitié dans son regard. Elle était la dernière personne qu’il voulait décevoir, jamais il n’aurait pu le supporter. Certain qu’elle ne mettrait pas les pieds au club ce soir et s’étant assuré que son chauffeur le raccompagnerait jusqu’à chez lui à la fermeture, Gabriel pouvait donc se laisser aller à ses plus vieilles et plus mauvaises habitudes. Apercevant un homme qu’il connaissait vaguement lui faire un signe il le rejoignit en bousculant la foule, manquant de renverser son verre sur toutes les personnes qui croisaient son chemin. « T’en es ? » Lui glissa l’homme à l’oreille en lui désignant discrètement la fiole emplie de poudre blanche qu’il faisait rouler entre ses doigts. Cocaïne, sa plus vieille amie. Gabriel hocha la tête et ils s’éclipsèrent dans les toilettes pour hommes.

Dix minutes plus tard Gabriel évoluait sur la piste de danse, comme transcendé. Une blonde, collée à lui, lui murmurait il ne savait trop quoi à l’oreille alors qu’il laissait ses mains glisser sur son corps. Malgré toutes les substances qu’il avait prises pour oublier il ne pensait qu’à une seule chose : ce corps n’était pas celui de Nora. Il n’en avait rien de semblable. Il était quelconque, il était impersonnel, inconnu. « Tu veux qu’on aille chez moi, discuter, faire connaissance ? » Le brun lâcha un rire plus sarcastique qu’il ne l’aurait voulu et attrapa le menton de la jeune femme pour l’obliger à croiser son regard. « Parler c’est pas trop mon truc. » Il s’empara de ses lèvres pour la faire taire avant de glisser un bras autour de sa taille et de fendre la foule pour quitter le club.

Après une semaine entière où Nora s’était évertuer tant bien que mal à distraire la bourgeoisie newyorkaise en animant les soirées de Lennox au piano, la jeune brune s’était enfin décidée à sortir et avait choisi le Red Bar sur les recommandations d’un des cuisiniers des Bristow.
Assise dans la voiture de fonction galamment prêté par le milliardaire, la brune fixait son reflet dans le rétroviseur en tentant de se donner le courage d’affronter encore cet univers de strass et paillettes qui cachait surtout l’hypocrisie et les faux-semblants. En quelques minutes, elle s’était transformée, passant ainsi d’une pianiste professionnelle à une séduisante jeune femme : rouge à lèvres, jupe légèrement rehaussée, chemisier un peu déboutonné et elle avait défait le chignon qui retenait sa longue chevelure. Nora n’était pas adepte de ce genre d’endroit mais elle supposa que toute cette population serait peut-être moins difficile à supporter dans le noir.
Enfin arrivée devant le Red Bar, la jeune femme réalisa qu’une dizaine de personne attroupée autour de l’entrée n’était pas là pour obtenir le droit suprême de faire partie de la soirée mais tous armés d’appareil photo aux zooms plus perfectionnés les uns que les autres, ils patientaient à l’extérieur avides de pouvoir immortaliser le scoop qui allait payer leurs prochaines vacances « Je ne bouge pas d’ici tant qu’il n’est pas sorti ! » « Moi non plus, j’ai une source à l’intérieur qui m’a dit qu’il avait la main lourde sur l’alcool » le plus grand des deux afficha un sourire presque machiavélique « alors Reeds ne sortira pas d’ici seul ce soir… » les deux concurrents échangèrent même un regard complice.
Nora comprit enfin qu’il parlait de la star montante et sans attendre une seconde préféra faire demi-tour. Elle n’avait pas pour habitude de fuir mais elle se savait encore trop fragile pour supporter de se retrouver en face du jeune brun. Elle se forçait chaque jour à ne pas reprendre contact avec lui et son cœur se fissurait à chaque fois qu’elle le découvrait dans les magazines aux bras d’une femme plus sublime que la précédente, quand un homme à la chevelure grisonnante mais plutôt élégant l’attrapa par la main en lui adressant un sourire charmeur « toi, tu ne vas nulle part ma jolie » sans vraiment comprendre ni comment ni pourquoi, l’homme la redirigera en toute galanterie vers l’intérieur de l’établissement et passa devant la longue file d’attente saluant au passage les agents de la sécurité avant d’entrer dans le Red Bar. Une fois à l’intérieur, il lâcha sa prise sur elle « Je me présente, Aaron… je t’offre un verre ? » Elle avait cru remarquer que les femmes de cette ville semblaient plutôt à l’aise avec le fait d’être traitées comme des choses et semblaient même en tirer avantage mais elle refusait d’être de celles-là.
Elle n’eut pas le temps de répondre qu’elle se retrouva face à Lui, Gabriel… elle venait sans le vouloir de le bousculer –ou bien était-ce lui ?- et quand elle croisa son regard, son souffle se stoppa aussi sec. L’espace d’un instant, Nora se perdit dans ses yeux aussi clairs que les lieux étaient sombres et réalisa ce que Gabriel tentait de lui faire comprendre quand il lui disait « ça n’est pas parce que je suis entourée que je me sens moins seul »… La brune avait l’impression qu’il n’y avait qu’eux, elle ne voyait plus que lui et pourtant alors qu’elle le fixait, elle ne reconnut pas le regard de l’homme qu’elle avait tant désiré… Il semblait vide, inexpressif, la seule chose qu’elle crut apercevoir fut de la tristesse ou de la colère.
En se rendant compte que son regard devait se faire trop insistant, Nora détourna les yeux jusqu’à la blonde à ses côtés qu’elle jugea immédiatement mignonne mais vulgaire puis fit à nouveau face à Gabriel « Ils… Ils sont là, ils t’attendent… » « Ecoute chérie, tu devrais peut-être te mêler de ce qui te regarde, les autographes se sera pour un autre jour » articula sa nouvelle conquête. Nora serra les dents pour s’empêcher de lui répondre et pour stopper la jalousie qui commençait à l’envahir en la voyant se coller à Gabriel comme pour marquer son territoire. Evidemment qu’elle la haïssait mais que pouvait-elle dire ? Elle était la seule responsable de cette situation, elle avait eu sa chance et elle regrettait tous les jours la décision qu’elle avait prise pour eux.
Nora reporta simplement son attention sur Gabriel «… tu ne devrais pas sortir par l’entrée principale »

Tomber sur Nora ce soir – ou même un autre soir – ne faisait vraiment pas parti des plans de Gabriel. Il avait pensé, à tords, que plus jamais son regard n’aurait à croiser celui de la jeune femme. Qu’il n’aurait plus jamais cette impression qu’elle pouvait lire en lui plus facilement que n’importe qui sur cette planète. Oui, il avait cru bien naïvement que la douleur ne pourrait pas être plus violente et lancinante… Triste erreur qu’il payait à cet instant même alors que le monde entier s’arrêtait de tourner. Son esprit miraculeusement débarrassé de ses vapeurs alcoolisées grâce au choc de cette rencontre, il demeurait muet, bien trop déstabilisé par la situation pour faire usage de son célèbre répondant. Il sentit la blonde se coller à lui sans parvenir à distinguer un seul des mots qui sortaient de sa bouche trop maquillé. Il n’avait d’yeux que pour la brune qui lui faisait face et qui avait harponné son cœur d’un seul regard. « Ils… Ils sont là, ils t’attendent… tu ne devrais pas sortir par l’entrée principale » Le jeune homme comprit immédiatement à quoi, ou plutôt à qui, elle faisait allusion. Les journalistes, ou journaleux. Les grattes papier, les photographes, les sangsues… Le brun haussa vaguement les épaules, reprenant peu à peu son flegme habituellement et se parant de nouveau d’un masque impassible et froid. « Et en quoi ça t’intéresse ? Tu m’as fait comprendre de façon assez claire que tu ne voulais plus rien avoir à faire avec moi non ? Alors retourne t’amuser avec les gens bien sous tous rapports et laisse moi vivre ma vie de débauche. » Puisque c’était ce qu’elle semblait penser du quotidien qui était le sien… Il arracha ses prunelles des siennes alors que son cœur se déchirait un peu plus et tourna le regard vers la blonde. « Tu peux rester là toi aussi, je suis plus d’humeur. » Lâcha-t-il d’une voix sombre sous le regard médusé de la jeune femme qui tourna les talons avec fureur. Nul doute qu’elle irait pester sur le salaud qu’il était auprès de ses petites copines. Peu importe, Gabriel y était habitué. Il résista, difficilement, à la tentation de croiser une nouvelle fois le regard noisette de Nora et fendit la foule pour rejoindre l’extérieur. Il n’avait besoin que de ses deux meilleures amies : solitude et nicotine.

Prenant soin de rejoindre le parking par une porte latérale au club, il rejoignit la pénombre d’une ruelle attenante pour s’adosser au mur. Il aurait pu appeler Jeffrey, rentrer dans son immense villa et terminer la soirée avec une autre bouteille dans son jacuzzi. Mais cette simple pensée lui donnait la nausée. Revoir Nora l’avait renvoyé à sa propre déchéance. Il n’était plus que l’ombre de lui-même, il enchaînait les films au scénario aussi plat que les tongs de sa voisine de pallier et il y avait des mois qu’il n’avait pas été passionné par un projet. Il avait perdu goût à tout et il n’y avait bien que Tinsley pour le garder dans ce monde. Il exhalait un nuage de fumée quand un flash l’aveugla. Merde. Impossible d’être tranquille. « IL EST LA ! » Hurla le photographe à ses ‘collègues’. Aussitôt une horde de nabots envahit son espace vitale et les flashes crépitèrent à lui en donner la migraine. « SALES VAUTOURS ! » Hurla-t-il alors qu’il serrait les poings à en faire craquer ses phalanges. « On nous a dit que vous aviez vu votre ex au club ? » « Vous êtes de nouveau ensemble ? » « Que pense-t-elle de toutes les filles avec qui vous couchez ? » Les mâchoires crispées, Gabriel tenta un pas en avant dans le but de retourner dans le club le temps que son chauffeur arrive. Une barrière humaine se leva pour l’en empêcher. « Laissez moi passer. » Cracha-t-il entre ses dents. « Nora Buckley, c’est bien son nom ? » C’en était trop. Le poing du brun se leva finalement pour venir rencontrer le nez d’un des photographes qui émit un craquement désagréable. « J’ai dit, laissez moi passer. » Le petit groupe s’écarta et Gabriel s’extirpa de la ruelle, la main endolorie par la force du coup. Il ne voulait pas retourner dans le club, il ne voulait pas prendre le risque de la croiser une nouvelle fois. Il ne l’aurait pas supporté. Tant pis, il rentrerait à pied. L’air frais lui ferait sûrement le plus grand bien. Il prit donc le chemin de sa villa, titubant sur le bord de la route, la main abîmé et le cœur en miettes.

« Et en quoi ça t’intéresse ? Tu m’as fait comprendre de façon assez claire que tu ne voulais plus rien avoir à faire avec moi non ? Alors retourne t’amuser avec les gens bien sous tous rapports et laisse-moi vivre ma vie de débauche. »
En entrant dans la discothèque, la petite brune ne s’était pas imaginée qu’elle se prendrait ses erreurs en pleine face et surtout que l’homme qui lui cracherait toute sa haine au visage ne ressemblerait en rien à celui qu’elle avait lâchement laissé derrière elle quelques mois plus tôt. Nora regarda la blonde se faire congédier sans pouvoir freiner l’esquisse d’un sourire et laissa Gabriel s’en aller sans même tenter de le retenir. Elle resta là, plantée, les bras ballants au milieu de ces lieux remplis de gens qui n’avait même pas l’air de s’amuser. Elle n’avait rien à faire là… il venait de lui prouver. Juste retour des choses.
Elle laissa lentement remonter sa main jusqu’au pendentif en forme d’ange qui pendait à son cou et pour la première fois depuis des mois, la jeune pianiste pourtant si rationnelle décida d’écouter son cœur plutôt que son cerveau. Sûrement parce qu’à cause de cette musique assourdissante, elle n’arrivait même plus à l’entendre.
Malgré tout le mal que venait de lui procurer cette rencontre, elle ressentait en elle le besoin de lui parler, de le toucher ou simplement qu’il la voit… Comme une drogue, en croisant son regard, Nora venait de replonger.

A son tour, elle fendit la foule pour rejoindre la porte de l’arrière empruntée quelques minutes plus tôt par son ex. Une fois à l’extérieur, Nora chercha du regard le jeune acteur mais ne trouva qu’une bande de journaliste accroupis près d’un homme au nez ensanglanté qu’elle reconnut comme étant l’un des leurs… lui qui semblait prêt à tout pour un scoop se retrouvait maintenant mitrailler par ses « alliés ». La pianiste devina en les entendant qu’une bagarre avait éclaté et le fait de retrouver Gabriel lui parut encore plus urgent. Son sang ne fit qu’un tour à l’idée qu’il lui soit arrivé quelque chose quand enfin elle aperçut sa silhouette, une des seules qu’elle était capable de reconnaitre même dans une ruelle sombre… Avant qu’elle n’ait pu faire un pas pour le rejoindre, la horde de photographe se dressa en face d’elle et les flashs se mirent à crépiter aveuglant la jeune femme, peu habituée à tant d’attention.
Par réflexe, elle cacha son visage, se refusant à répondre à une seule de leur question et faisant claquer ses talons sur le béton de la ruelle, la brune rejoint rapidement sa voiture.

Lorsqu’elle fut à bord du véhicule, Nora réalisa une brusque marche-arrière espérant pouvoir les faire fuir avant de noter que rien ne semblait les arrêter. Elle accéléra et finit par freiner au niveau de Gabriel prenant soin d’ouvrir la fenêtre « monte ! » en le voyant résister, la jeune femme se décida à affronter son regard « monte ! C’est eux ou moi Gabriel… » indiquant d’un signe de menton les vautours qui la suivait.
Quand enfin il se décida à monter, la brune n’attendit pas qu’il referme la porte avant de repartir en trombe surveillant toujours les photographes dans son rétroviseur. Nora avait toujours était bonne conductrice mais dépasser les 100 kilomètres/heure lui semblait complétement irresponsable avant que le brun n’entre dans sa vie et ne lui apprenne à Vivre et alors qu’elle se trouvait maintenant aux commandes tentant de fuir une horde de paparazzis, ce sentiment de liberté qu’il lui avait apporté lui effleura le visage.
La brune posa son regard sur le poing qui avait servi à frapper le journaliste et regarda Gabriel inquiète « tu saignes… ça va ? » ses réflexes revenaient lentement sans qu’elle ne puisse s’en empêcher, elle s’inquiétait sincèrement pour lui mais l’idée de revoir à nouveau ce regard vide l’empêchait de s’aventurer vers ses yeux azur. Elle regarda derrière eux une seconde et ralentit doucement « Je crois qu’ils ont abandonné… » supposa-t-elle tentant de briser le malaise de la situation.